Tech.Rocks

Publié le 6 décembre 2023

Spécial Tech.Rocks Summit 2023 - Emmanuelle Aboaf (SHODO) et Jean-Laurent de Morlhon (Docker) - #S05EP37

J-1 Tech.Rocks Summit 🚀 🎤 Retrouvez dans ce nouveau podcast dédié à nos speakers, Emmanuelle ABOAF, Développeuse Angular .NET chez SHODO, au micro de Jean-Laurent DE MORLHON, Vice President Of Software Engineering chez Docker. Sourde de naissance, bionique (deux implants cochléaires) et surtout développeuse Fullstack Angular .NET passionnée de technologies, Emmanuelle lutte chaque jour pour l’accessibilité. Dans ce podcast, Emmanuelle nous parle du handicap en entreprise et nous rappelle les bonnes pratiques. Pour une Tech accessible à toutes et tous, rendez vos applications internes et vos sites publiques accessibles : Formez vous à l'accessibilité et formez les personnes handicapées à la Tech. Un podcast riche en enseignement à écouter sans plus attendre. Ce podcast est disponible en version écrite. Transcription écrite du podcast : Jean-Laurent de Morlhon Bonjour à tous, je suis ravi de vous voir aujourd'hui pour vous parler d'une mini-série qu'on est en train de faire sur les speakers de Tech Rocks Summit 2023 et j'ai la chance aujourd'hui de pouvoir échanger avec Emmanuelle Aboaf et nous allons pouvoir échanger sur son talk qu'elle va pouvoir faire au Tech Rocks Summit qui a lieu du 7 et 8 décembre 2023. Je suis Jean-Laurent Demorlon, je suis le VP Engineering de Docker et j'ai la chance de pouvoir piloter les équipes d'engineering de Docker depuis quelques années maintenant. Mais aujourd'hui, ce n'est pas de moi qu'on parle, c'est d'Emmanuelle. Emmanuelle, est-ce que tu peux te présenter ? Emmanuelle Aboaf Merci Jean-Laurent, merci beaucoup de m'avoir invitée. Je m'appelle Emmanuelle Aboaf et je suis développeuse depuis une dizaine d'années. Depuis peu, j'ai intégré la société qui s'appelle Shodo, qui est une ESN, très militante sur les questions d'inclusion dans la tech, dans la diversité, la justice sociale, parce que c'est vraiment important d'aborder ces sujets-là dans le milieu de la tech. Et je suis également sourde de naissance, avec deux implants cochléaires. Et en fait, les deux implants cochléaires que j'ai, ce sont des appareils auditifs un peu plus développés. Ça fait que je me sens un peu... Enfin, je me considère un peu bionique grâce à mes implants cochléaires. Voilà la petite touche d'humour là-dessus. Jean-Laurent de Morlhon Bon super, alors non seulement j'interviewe Emmanuelle, mais Emmanuelle bionique, super, bon parfait. Emmanuelle, aujourd'hui, qu'est-ce qui fait qu'on discute aujourd'hui pour ce podcast ? Alors certes, tu vas nous faire une intervention au Tech.Rocks Summit dans quelques jours, mais ce n'est pas par hasard qu'on t'a invité aujourd'hui et qu'on t'a aussi invité à parler au Summit. Au Summit, je pense qu'il y a une vingtaine de speakers, donc il n'y a pas tant de monde que ça. Donc j'ai envie de dire, quel est ton parcours qui nous a permis d'aujourd'hui de discuter tous les deux ? Emmanuelle Aboaf Merci. Écoute, ça fait depuis peu que je suis oratrice. C'est vrai que j'ai commencé à me faire connaître seulement depuis l'année dernière. Et j'ai eu envie de prendre la parole pour parler d’inclusion dans la tech, notamment sur le sujet du handicap, parce que c'est vrai que c'est un sujet où on n'en parle pas suffisamment. Et en fonction de mon expérience, parce que ça fait quand même une dizaine d'années que je suis dans la tech, et j'ai pu voir tout ce qui s'est passé à travers mon expérience professionnelle et à travers l'expérience de d'autres personnes, j'ai envie d'aborder le sujet, aussi bien sur le handicap, sur l'accessibilité numérique et l'intelligence artificielle au service du handicap. C'est vraiment des sujets qui me tiennent à cœur et qui sont vraiment d'actualité. Et vraiment, je milite pour qu'il y ait une meilleure inclusion des personnes handicapées au sein de la tech, et non pas seulement dans la tech, il y a aussi d'autres secteurs d'activité. Il faut penser que ça ne se limite pas forcément à la tech. Et je pense que c'est pour ça qu'on est venus me chercher. Merci beaucoup à Noémie, notamment, de m'avoir invitée à donner ce sujet au sein de Tech.Rocks Summit, qui, vraiment, je ne m'y attendais pas du tout. Et c'est vraiment un honneur pour moi de parler de tous ces sujets-là avec vous. Jean-Laurent de Morlhon Alors, tu as commencé à en parler un petit peu, tu vis toi-même une situation de handicap de ton côté et quelque part tu présentes quand même aujourd'hui qu'il y a beaucoup de personnes qui ne sont pas en situation de handicap et qui finalement ne font pas de speak ou n'ont pas la possibilité ou n'ont pas pris le choix d'être un speaker aujourd'hui. Donc déjà, moi je suis bluffé, j'ai une de mes enfants qui est en situation de handicap et moi je l'avais fait lors des répétitions pour les auditeurs, j'avais fait venir mon enfant écouter Emmanuelle pour lui montrer : "regarde, ce n'est pas parce que tu es en situation de handicap que tu ne peux pas faire des choses comme les valides" et elle avait été super motivée. Donc déjà, merci pour ça. Mais de manière plus générale, j'ai envie de dire, les gens ne savent pas trop ce que c'est que la situation de handicap, en général ils pensent soit au petit logo bleu qu'on met sur les voitures ou des personnes qui se déplacent en fauteuil roulant. Est-ce que tu peux nous parler un peu plus de tout ce que, pour les gens qui ne comprennent pas vraiment ce que c'est que le handicap et comment gérer ça, est-ce que, voilà, comment tu peux nous expliquer ça à ta manière ? Emmanuelle Aboaf Bien sûr, avec plaisir. Il faut savoir que selon les chiffres officiels, une personne sur six est handicapée. En France, il représente 12 millions de personnes handicapées, ce qui est énorme. C'est vraiment une bonne partie de la population française qui est handicapée. Et il faut savoir que le handicap, ça ne concerne pas que le fauteuil roulant. On estime que 80 % des handicaps sont invisibles, ce qui est énorme. Donc, oui, quand on voit le handicap, on voit souvent des handicaps qui se voient, comme le fauteuil roulant ou les personnes avec une canne ou d'autres outils qui permettent de se déplacer au quotidien. Mais le handicap invisible, on le sous-estime vraiment parce qu'il y a plusieurs handicaps. Par exemple, la surdité. Avant de me connaître, que je parle, vous me voyez comme une personne normale. Vous ne savez pas que je suis sourde. J'ai certes un accent. Pourtant, je ne viens pas d'un pays étranger, donc souvent, on me demande si je suis anglaise. Et je leur dis que non, c'est un accent venant de ma surdité parce que j'ai dû apprendre à parler depuis mon enfance. Et donc là, ils apprennent ça, les gens sont stupéfaits. ah tu es sourde ? Et oui, la surdité, ça fait partie de la famille du handicap. Il y a aussi des personnes qui ont... Par exemple, une personne autiste. L'autisme est aussi un handicap. Et là aussi, c'est difficile de voir, d'un œil, de détecter que la personne est autiste. Voilà, ça fait partie des handicaps invisibles. Et vraiment, on sous-estime et on voit les gens qui ont une carte de mobilité inclusion et qui marchent sur leurs deux jambes. Ils disent "mais non, tu n'es pas handicapé". Alors qu’on peut avoir des maladies invalidantes, des handicaps moteurs, comme les personnes qui ont des tremblements ou les maladies de Parkinson qui empêchent de se déplacer correctement et qui ne peuvent pas rester debout longtemps. Ils ont besoin de s'asseoir. Donc voilà, ce n'est pas facile. On marche sur deux jambes, on a deux bras, on va bien. À l'extérieur, on va bien mais c'est plus difficile à l'intérieur. C'est ça, les handicaps invisibles. Jean-Laurent de Morlhon Oui, moi j'avoue que j'avais été assez marqué donc mon enfant était à l'école et il y avait beaucoup de parents qui se demandaient quel type de handicap elles avaient et en fait on se rendait compte qu'il y avait beaucoup de gens qui ne savaient pas du tout ce que c'était parce qu'ils n'ont juste pas été confrontés donc voilà c'est pas complètement leur faute, c'est une question, moi j'avoue que j'y connaissais rien jusqu'à y être confronté moi-même donc et en fait on s'est rendu compte que quand on discutait avec les parents ou les profs, personne ne comprenait très bien ce que c'était et on a pris le parti chaque année dans les écoles, il y a une réunion de pré-rentrée là ou de post-rentrée là où les profs expliquent un peu ce qui va se passer pour vos enfants et en fait chaque année, soit ma femme soit moi-même, on allait intervenir dans l'école et on expliquait ce qu'était le handicap de notre enfant et notamment on finissait toujours par « ce n'est pas transmissible, vous n'allez pas l'attraper » et en fait quand je me suis rendu compte qu'on disait cette phrase-là et que les gens disaient « ah ça va alors » et bien on se rend compte un peu du gap qu'il y a dans la compréhension de ce que c'est que le handicap. Donc avec ce sujet là, j'avais envie de te poser des questions, toi qui travaille en entreprise et qui a travaillé dans plusieurs entreprises, qu'est-ce que tu peux dire sur l'inclusion de personnes en situation de handicap ? Peut-être donner un peu de conseils à ceux qui sont dans cette situation-là pour qu'ils puissent s'engager à le faire. Emmanuelle Aboaf Oui, tout à fait, c'est vrai que le handicap, c'est un sujet qui est malheureusement très méconnu, les gens ne sont pas suffisamment sensibilisés sur le sujet et sont très ignorants parce que pour eux le handicap c'est une connotation négative et c'est pourquoi j'ai donné ma conférence "au secours, j'ai une personne handicapée dans mon équipe" et en fait cette phrase là c'est quelque chose qui se dit intérieurement, enfin je dis tout haut ce que les gens disent tout bas, ils apprennent qu'il y a une personne handicapée qui arrive dans leur équipe et ils paniquent, ils se disent "ah non cette personne là elle va tout bousiller, il y aura des problèmes de communication, il faut mettre en place des aménagements, olala ça va être compliqué" et en fait non, c'est pour ça qu'à travers ma conférence je voudrais déconstruire le fait qu'avoir une personne handicapée dans son équipe ça ne doit pas être un problème si on met en place des aménagements de poste et ça je l'ai vu de ces dernières années, quand je suis arrivée sur le marché du travail je ne connaissais rien à mes droits ni ce qu'il fallait faire et en fait tout ce que j'avais c'était un papier RQTH. Pour ceux qui ne savent pas, c'est "reconnaissance de travailleur handicapé" qui me permettait d'avoir des aménagements de poste et donc d'être un travailleur handicapé pour bénéficier de ces aménagements de poste. Malheureusement quand j’ai été embauchée dans ma première entreprise on m'a embauchée pour le quota. Pour ceux qui ne savent pas, le quota, c'est encourager les entreprises à embaucher 6% de leur effectif de personnes handicapées et donc c'est à double tranchant ca encourage les entreprises à embaucher des personnes handicapées mais en ne maîtrisant pas ce sujet là elles pensent que les personnes handicapées n'ont pas de compétences et donc elles vont les mettre au placard ou alors elles vont préférer payer une contribution financière pour ne pas embaucher les personnes handicapées. Heureusement ces situations là évoluent petit à petit grâce aux campagnes de communication qui se font autour de la SEEPH par exemple - la semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées - qui a lieu chaque année mais le handicap il faut en parler toute l'année et non pas seulement cette semaine là et donc le quota c'est important mais c'est important aussi de faire intégrer des employés handicapés au sein de l'entreprise pour qu'ils puissent faire son travail avec tout le monde, mettre en place des aménagements de poste. Pour vous donner un exemple, après ma première entreprise j'étais embauchée dans une SSII à l'époque qui aujourd'hui s'appelle un ESN et j'ai mis longtemps à avoir mes aménagements de poste parce que j’ai demandée à avoir une codeuse LPC qui est l'équivalent d'une interprète en langue des signes. La LPC est un moyen de communication pour les personnes sourdes et malentendantes, c'est la langue parlée complétée. J’'avais demandé à avoir une codeuse LPC pour suivre des réunions parce que c'était difficile pour moi de suivre des réunions quand on est plusieurs, tout le monde parle en même temps, tout le monde parle vite et on me disait : "mais non tu n'en as pas besoin, tu parles très bien, tu entends bien, tu nous fais répéter quand tu as besoin". Et moi ça me mettait même très mal à l'aise parce que je n'arrêtais pas d'interrompre mes collègues pour qu'ils puissent répéter et ça me donnait une charge mentale et à la fin des réunions j'étais fatiguée au bout de deux heures de lire sur les lèvres, j'essayais de suivre et tout ça. Jusqu'au jour où il y a eu un séminaire de deux jours et j'étais obligée de venir et j'ai dit "faites-moi venir quelqu'un parce que deux heures, ça va mais deux jours je ne pourrais pas" alors ils m'ont dit "oui ok on va te faire venir quelqu'un" et là ça fait toute la différence, ils m'ont dit "mais Emmanuelle, qui es-tu, je ne te reconnais pas, tu participes, tu poses tes questions ?" et la personne qui était venue me traduire les échanges, elle a profité pour faire la sensibilisation, elle a dit "bah oui, elle participe davantage parce que je suis là pour l'aider à transmettre toutes les informations qu'elle a besoin, vous voyez, elle n'a plus besoin de faire répéter qui ce soit, elle a tout compris et donc elle pose des questions pertinentes". Forcément avec l'accessibilité, ça change tout et par la suite, ils ont compris et à chaque fois que j'ai demandé, j'avais une codeuse à chaque fois que j'en ai besoin et depuis ce jour-là j'ai compris qu'il y avait besoin de faire un atelier de sensibilisation pour sensibiliser mes collègues sur mes besoins mais aussi leur faire comprendre qu'on peut travailler ensemble tout en mettant en place un certain nombre de règles. C'est ce que j'avais fait en entrant dans ma troisième entreprise et voilà, j'ai un service de transcription en temps réel ou une codeuse pour suivre les réunions et si je n’ai pas ces aides-là, on va faire en sorte de mettre en place ces règles-là pour que chacun parle à son tour, ne parle pas trop vite et si on veut interrompre quelqu'un, on fait des gestes, des signes pour dire stop, s'il y a un souci, ce genre de choses-là et mes collègues me disent : "grâce à ces règles-là, tu fluidifies les échanges et ça m'aide" mais ça les aide aussi et au final les aménagements de poste ça me profite mais ça profite aussi aux autres collègues donc c'est pour ça qu'à travers cette conférence que je donne, j'explique que c'est vraiment important de travailler en équipe, de mettre en place les besoins de chacun en fonction de son handicap parce que les besoins sont différents, ils ne sont pas les mêmes et j'ajouterais que les aménagements de poste en général sont pris en charge par l'AGEFIPH pour les entreprises privées et la FIPHFP pour les entreprises publiques donc tout est vraiment pris en charge. Jean-Laurent de Morlhon Moi j'adore ce que tu viens de dire parce que déjà moi quand on met deux heures en réunion j'ai envie de m'échapper au bout de 45 minutes parce que parce effectivement ça fait beaucoup d'informations et que c'est vrai que ça a une charge mentale qui est quand même assez importante. D'ailleurs moi par défaut mon système de meeting, d'agenda il met 25 minutes pour tout le monde. Je fais ça parce que je trouve que c'est une manière aussi d'être un tout petit peu plus efficace, on va un peu plus dans le truc. Tu as aussi évoqué le fait qu'il y avait des signes pour interrompre. Alors dans un monde remote par exemple aujourd'hui, je pense qu'absolument tout le monde fait ça. En tout cas, pour avoir des réunions fluides avec des systèmes de type Zoom ou Google Meet ou autre, on a les espèces de petites mains qu'on met sur nos logiciels pour dire, moi j'aimerais aussi avoir la parole à un moment donné s'il vous plaît. En fonction de la discipline des différentes entreprises, ça se suit plus ou moins. Moi je sais qu'à Docker par exemple quand je pose une question, enfin quand je dis une bêtise, je vois immédiatement une dizaine de mains qui se lèvent dans le meeting et je vois bien qu'il faut que je m'arrête de parler, que je passe la main. Donc ça aussi c'est des choses qui sont assez utiles. Mais avant ça moi dans ma vie où je vivais dans des entreprises en me déplaçant dans les locaux, pour certaines réunions où on a envie de mettre en avant le respect de chacun de parler au bon moment, on avait une espèce de bâton de parole là, donc c'est un espèce d'objet, ça peut être n'importe quoi, un feutre ou n'importe quoi, qu'on se passe. Et c'est celui qui l'a et qui a le droit de parler et les autres doivent se taire. Donc tous les exemples que tu as donnés, moi c'est des exemples que j'ai déjà vus en entreprise qui ont été appliqués pour tout un chacun. Et je trouve ça super que tu donnes ces exemples-là en disant, en fait moi j'en ai besoin, mais oui effectivement. En tout cas tous ces exemples-là, ils sont bons pour le groupe aussi. Emmanuelle Aboaf Le baton de paroles, c'est le parfait exemple qu'on a mis en place, que ce soit en présentiel ou en distanciel ça marche vraiment très bien et vraiment ça permet de fluidifier les échanges et mes collègues me disaient qu’ils n’y avaient jamais pensé avant et maintenant, quand ils ne sont pas avec moi, ils n'hésitent pas à réutiliser ces règles-là, les bâtons de paroles parce qu'ils trouvent justement que ça rend les échanges de meilleure qualité et je trouve ça super de faire participer tout le monde et de faire en sorte que tout le monde puisse échanger de manière plus fluide et j'ajouterais que c’est pas parce que on est handicapé, qu'on n'est pas comme les autres enfin je veux dire par là, on a des compétences comme tout le monde et on a aussi le droit à la parole et on a aussi le droit de dire des choses qui peuvent être importantes pour le projet, c'est vraiment le fait, je te disais par exemple, je ne participais pas beaucoup parce que, sans le temps d'assimiler toutes les informations, de comprendre et tout ça, c'était difficile pour moi de suivre et maintenant, on m’a rédécouvert grâce avec l'aide, que je puisse participer et me dire, « ah oui, tu dis des choses pertinentes ». Tout le monde a une voix, même les personnes handicapées ont une voix, ont des choses à dire. Jean-Laurent de Morlhon Le handicap, je le vois comme étant juste une facette d'une personne. Par exemple, à Docker, on parle tous en anglais tout le temps. Il y a beaucoup de français, il y a 50% de l'engineering qui est européen. J'ai des accents anglais, irlandais. En Angleterre, il y a un nombre d'accents absolument fabuleux. Là, plus vous montez vers le nord, moins je comprends. Vous avez des accents soit du sud de l'Europe, espagnol ou portugais, ou même des tournures de phrases un peu italiennes ou de l'Europe de l'Est. Sans parler vraiment de tous les Etats-Unis. Bref, là où je veux en venir, c'est que finalement, dans la communication de chacun, notamment quand on doit tous s'adapter à une langue qui n'est pas notre langue native, avec laquelle on a appris, on a tous une forme de handicap entre guillemets, autour de l'utilisation des mots, les tournures de phrases, on a tous un niveau plus ou moins fort là-dedans. Ça se ressent fortement dans les échanges. Quand quelqu'un a un peu de mal à converser parce qu'il utilise l'anglais, mais pour lui, c'est un peu plus difficile, il est un peu moins fluide, on s'en sort quand même. Ce n'est pas parce que la personne a moins travaillé son anglais que d'autres, ou a moins d'expérience, que la valeur qu'il apporte à l'équipe n'est pas moins importante. Je fais un parallèle un peu distant, parce qu'effectivement, l'apprentissage d'une langue, ça n'a rien à voir avec le handicap. Mais quand on essaie tous de se mettre à un niveau qui est équivalent, je trouvais que ça avait une certaine forme de parallèle autour en tout cas du respect, de la bienveillance autour des autres, parce qu'on peut comprendre que chacun a à apporter quelque chose si on se met au niveau de celui à qui on a envie d'échanger pour en récupérer ce dont on a besoin. En tout cas, l’information. Emmanuelle Aboaf Oui, parce que ça c'est vraiment important de travailler en équipe, quelque soit son besoin, qu’on soit valide ou handicapé, j'ai des amis qui m'ont raconté des anecdotes vraiment hallucinantes, une amie m'avait dit, j'ai eu droit à une remarque, tu dis mais c'est normal, tu travailles moins vite, t'es handicapé, ce genre de réflexion qui est malheureusement validiste. Il faut le dire parce que le validisme c'est vraiment une forme de discrimination vis-à-vis du handicap, tu penses que les personnes handicapées ont moins de compétences que les personnes valides, alors qu'on a fait des formations pour suivre, on a fait des études pour apprendre des métiers comme tout le monde, le seul souci il y a, c'est à cause des préjugés, des méconnaissances autour du handicap, les gens croient c'est parce qu'on est handicapé, du coup on va moins vite, on est moins efficace, on est moins productif, il faut donner moins de travail, on est tout le temps fatigué. La partie fatigue ça peut se comprendre pour certaines personnes, mais il ne faut pas nous infantiliser, il ne faut pas nous ménager parce qu'on a un handicap, au contraire, on est là, on travaille, on est ravis de cela. On est embauché pour nos compétences, et d'ailleurs à ce sujet, j'ai une amie qui m'a raconté, elle est allée en entretien d'embauche, et à la fin le recruteur lui a dit : "c'est bien, vous êtes handicapée, vous êtes une femme et vous êtes racisée". Donc, l'embaucher pour ses trois critères, je trouve ça hallucinant, et Thanh Lan, elle lui a dit : "mais non, je suis là pour mes compétences, le reste c'est tout bénéf". C'est du bonus, c'est ça. Malheureusement il y a ces formes de discrimination dans tous les secteurs, le sexisme, le racisme, le validisme, quand on ne rentre pas dans les critères de la société, il y a une forme de biais, que ce soit conscient ou inconscient, de la part des gens, qui disent, bah oui, les personnes, elles ne sont pas comme moi, donc je vais les considérer moins que moi. Alors, ça ne devrait pas. Jean-Laurent de Morlhon Oui, on remplit d'autres formes de quotas en faisant ça, c'est horrible. Il y a aussi une histoire de niveau, moi qui ai embauché des centaines et des centaines d'ingénieurs aujourd'hui dans ma carrière, le niveau des gens ou en tout cas l'expertise des gens, elle se découvre au fur et à mesure que la personne travaille avec nous. Je ne sais pas, deux personnes qui sortent de la même école, avec des expériences on va dire similaires, vont avoir des niveaux complètement différents. Et ça, c'est quelque chose avec lequel on vit en permanence, c'est-à-dire la différence de niveau ou d'appétence pour certains sujets, c'est des choses qu'on apprend quand on travaille avec les gens. Moi, je sais qu'à Docker, on essaie d'avoir des gens qui restent un long moment à travailler avec nous, parce qu'on veut arriver à faire en sorte que chacun grandisse dans l'entreprise, mais aussi que chacun puisse exprimer ce qu'il ne connaît pas, à l'apprendre et ensuite avancer vers autre chose. Donc, cette différence de niveau, je pense qu'elle est à peu près dans tout. Je sais que par exemple, dans l'échelle, on a une ladder, on a ladder parce que c'est des termes anglais, mais on a une échelle qui permet de dire aux ingénieurs s'ils sont niveau 1, niveau 2, niveau 3, jusqu'au niveau 8, et à chaque niveau d'expertise, on a une forme de compétence qui est censée être exprimée. Bien sûr, tout ça a une part de subjectif, mais c'est pour dire qu'effectivement, quand on embauche quelqu'un, même à un niveau particulier, on se dit, ce sera sûrement un staff engineer, quelqu'un qui est niveau 4, parce qu'il correspond bien aux critères de ça. Donc, il travaille en équipe, il a déjà géré des projets par lui-même, etc. Même dans une échelle comme ça, qu'on essaie de cadrer les gens, on se rend compte qu'il y a une différence de niveau qui est fantastique. Et notre idée à nous tous, c'est bien sûr de prendre ces gens-là et de les amener au niveau du dessus, parce qu'effectivement, ça bénéficie à l'entreprise de l'autre côté. Donc, c'est quelque chose, encore une fois, que je mets en parallèle avec la vie des valides. Voilà. Emmanuelle Aboaf Bah justement, je voudrais compléter parce que justement, c'est bien de vous amener à aider les gens à évoluer dans leur poste, mais ça, l'évolution de la carrière est problématique chez les personnes handicapées, parce que pour avoir des formations, pour pouvoir évoluer, il faut suivre des formations, et pour ça, il faut que les formations soient accessibles, donc il y a des budgets pour les formations, mais aussi des budgets pour l'accessibilité, et il y a des personnes qui se retrouvent coincées, parce que justement, ils ne peuvent pas évoluer, il n'y a pas d'aménagement par rapport à ces formations, par rapport à ces évolutions, et du coup, ils voient leurs collègues évoluer, tandis que eux, ils sont restés au point mort, ils n'évoluent pas, et petit à petit, ils sont mis au placard, parce que justement, ils n'évoluent pas, et ça, je trouve ça hallucinant, c'est pas parce qu'on a un handicap, qu’on ne peut pas évoluer, et il faut mettre en place tout un tas de formations qui soient accessibles pour leur permettre d'évoluer, d'apprendre, d'être au même niveau que tout le monde. Jean-Laurent de Morlhon Oui, mais ça c'est valide pour l'ensemble des gens, d'accord, voilà, et quelque part je pense que si on veut faire un parallèle avec ton intervention au Tech Rocks Summit, justement où tu vas nous parler d'intelligence artificielle et de handicap, moi j'avais été assez bluffé parce que tu nous as parlé d'un certain, enfin je veux dire, la formation c'est une chose, mais quelque part les outils qui se profilent à l'horizon là, auxquels on va tous avoir accès ou ont pour partie déjà accès, c'est assez extraordinaire, moi je suis reparti de là en étant assez bluffé par les choses que tu nous avais un peu montrées, qu'est-ce que tu pourrais dire aux auditeurs là pour leur donner envie de venir te voir, nous raconter ton sujet autour de l'intelligence artificielle et le handicap ? Emmanuelle Aboaf Il faut savoir que c'est une idée qui me nourrissait depuis quelques temps, parce que moi, j'utilise au quotidien des outils automatiques pour mes réunions, elles ne sont pas parfaites, certes, mais ça mène, par exemple, là, on est en train de faire le podcast, je lis sur les lèvres, mais aussi, j'utilise des outils de sous-titrage en direct avec Windows 11 pour pouvoir suivre, parce que lire sur les lèvres, ça me demande de l'énergie, je peux rater certaines informations, donc le sous-titrage automatique m'aide à suivre, et donc, ça me permet de compléter, voilà, mais il y a encore des progrès à faire, c'est sûr, et c'est vrai, à partir de là, ça m'a dit, mais l'intelligence artificielle, c'est génial, ça va aider beaucoup de personnes, notamment les personnes handicapées, et donc, j'ai, avec ma binôme, Thanh Lan, je lui ai dit : j'aimerais bien créer un sujet autour de l'intelligence artificielle et handicap, toi, tu es développeuse sourde, spécialisée en intelligence artificielle, tu pourrais m'aider à créer ce truc-là, et c'est parti de là, et tout l'été, on a créé cette conférence pour pouvoir, justement, sensibiliser les personnes autour du handicap et l'intelligence artificielle. Il y a des choses qui sont géniales à utiliser, mais attention, il y a aussi des biais, malheureusement, autour de l'intelligence artificielle. Nous le savons, l'IA est le reflet de la société, l'IA est créé par des gens qui créent des algorithmes, qui entraînent l'IA avec les données qu'ils ont, et à mon avis, il y a une méconnaissance autour du handicap, sur le sujet, et les biais sont ressentis dans l'IA. Pour donner un exemple, je ne vais pas spoiler ma conférence, bien évidemment. Sur un moteur de recherche, je lui demande de me chercher une image de personnes handicapées, et le moteur de recherche va me sortir que des images de personnes en fauteuil roulant. Or, comme je l'ai dit, 80% des handicaps sont invisibles, il n'y a pas que des fauteuils roulants. Et cette recherche là, elle s'est répertoriée sur l'intelligence artificielle qui, quand je lui ai posé la question, a mis une journée, par exemple, génère moi des personnes handicapées, ça m'a généré des personnes en fauteuil roulant. Donc, c'est intéressant d'aborder ces aspects-là, l'impact des outils automatiques dans la vie des personnes handicapées, mais aussi les biais qui peuvent se révéler parfois dangereux. Jean-Laurent de Morlhon Et tout ça, ça s'applique, tu le vois, toi, sous le prisme des outils pour personnes qui sont en situation de handicap, mais quelque part, ces histoires de biais, ça s'applique pour absolument l'ensemble des sujets, donc je pense qu'on peut… Voilà, moi, c'était dans ce point-là où j'avais vraiment… Alors moi, je l'avais déjà vu, mais pas vous, mais je vous invite tous à venir voir Emmanuelle le 7 et 8 décembre prochain, pour assister à sa conférence. Juste pour que les auditeurs comprennent bien, là, Emmanuelle a un système de reconnaissance automatisé qui permet de retranscrire à chaque fois que je parle, enfin, je dis quelque chose, c'est retranscrit devant elle de manière numérique, avec le texte qui s'affiche. Donc voilà, elle utilise déjà les outils là maintenant, enfin, en tout cas, des outils qui sont disponibles, mais il y a des outils bien plus, on va dire, hype et fancy que l'intégration par défaut de Windows 11. Bref, écoute, Emmanuelle, en tout cas, moi, j'ai été ravi de faire cette petite conversation avec toi aujourd'hui, j'espère qu'on a donné envie aux gens de venir te voir. Je te remercie d'avoir passé le temps à passer ce sujet, c'est un sujet qui n'est pas forcément facile toujours d'aborder et qui dérange des fois un petit peu, là, les gens n'ont pas très envie toujours de voir le handicap et tout ça, donc je pense que c'est super bien. Donc, un grand merci. Emmanuelle Aboaf Merci à toi, Jean-Laurent, pour cet entretien, ça m'a fait très plaisir de discuter avec toi, d'échanger sur le sujet, vraiment, c'est un sujet qui me tient à cœur, j'adore mon métier, je suis développeuse, et les nouvelles technologies qui aident petit à petit, l'avenir, pour moi, est très excitante, surtout avec l'intelligence artificielle, et vraiment, c'est un plaisir de parler de ce sujet-là et de présenter cette conférence au Tech rocks Summit. Merci beaucoup. Jean-Laurent de Morlhon Merci Emmanuelle. Donc, on se retrouve tous au Tech.Rocks Summit en 2023, les 7 et 8 décembre prochain. C'est une conférence pour les CTO, enfin, moi, je suis VP Engineering, ils m'ont invité quand même, donc vous pouvez aussi venir. Et globalement, c'est une conférence pour les tech leaders, donc je serai sur place, Emmanuelle sera sur place, on a hâte de vous revoir là-bas le 7 et 8 décembre prochain. Merci, Emmanuelle.

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